«Cela fait au moins trente ans que je me suis faite à l'idée que je ne serai jamais reine ! » Elle a beau dire, Marine Le Pen, ce jour-là, elle a eu la fève et porte bien la couronne. L'or est en carton, certes, mais cela reste une couronne. Et avec ses 11 kilos de moins, sa mine affûtée et sa jupe plissée, la vice-présidente du Front national détonne au milieu des visages parcheminés et des permanentes bleu électrique réunis ce 15 janvier pour la galette des Rois de la fédération FN de Paris. A tel point que, quelques jours plus tard, le potache Karl Zéro en fait matière à gag, vantant sur Canal + les mérites de « la galette Marine, qui ne fait pas grossir » !
C'est vrai qu'on ne la reconnaît plus, Marine Le Pen. Il y a un an, d'ailleurs, elle avait préféré snober cette galette parisienne parfumée à la naphtaline, où son père avait fustigé la loi Veil et la « contraception massive ». Juste avant, il avait estimé dans l'hebdomadaire Rivarol que l'occupation allemande n'avait pas été « particulièrement inhumaine », conté l'« anecdote » de gentils gestapistes sauvant un village de la colère d'un lieutenant allemand qui voulait fusiller tout le monde, et ajouté qu'« un Front national gentil, ça n'intéressait personne ». Bref, tout pour ruiner les efforts de « dédiabolisation » du FN de sa benjamine, qui du coup était partie sur-le-champ en « vacances » à La Trinité-sur-Mer.
Une substitution possible. Est-ce l'air marin, ou un « relooking extrême », comme on dit sur Téva ? Un an plus tard, Marine opère un retour fracassant sur la scène politique. Avec, en prime, une silhouette de jeune première et les 300 pages d'un livre à paraître le 26 avril et dont elle dit qu'il exprime sa « philosophie politique ». Ecrit à la première personne, il débute en 1976, le jour de l'attentat à la bombe chez les Le Pen, villa Poirier ; ne fait pas l'impasse sur le « détail de l'histoire » cher à son père ; revient sur « la grosse leçon de vie » qu'a été la découverte des photos de sa mère, nue, et en soubrette, dans Playboy, et s'intitule, en hommage à un poème de Verhaeren, « A contre flots ».
A contre flots ? Avec un titre pareil, une forme pareille, et surtout sa récente nomination, par papa, au poste de « directrice stratégique de la campagne » (la « boîte à idées » pour 2007), voilà qui fait jaser dans les coursives du Paquebot, le siège du FN, à Saint-Cloud. Afficherait-elle donc des ambitions présidentielles ? D'autres ne se privent pas pour aller plus loin, évoquant même le scénario, si Jean-Marie Le Pen se voyait dans l'impossibilité de recueillir ses 500 signatures, d'une substitution, à la dernière minute, de la « fifille » au papa. « Je le vois très bien, analyse Lorrain de Saint-Affrique, l'ex-conseiller en communication de Le Pen, déclarer au comité central qu'il n'a pas les signatures mais qu'elle, elle peut les avoir. » Personne n'oublie non plus la célèbre phrase de jadis : « j'aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines, mes voisines que des inconnus. »
« Des fantasmes ! » sourit Marine, vous enfermant avec elle dans son bureau du siège du FN. On frémit un peu, parce qu'en ce moment, au Paquebot, l'ambiance n'est pas vraiment à « la croisière s'amuse », et que l'on ne voudrait pas s'y noyer. On s'étonne aussi de la décontraction de la jeune femme. « Je vous rappelle que c'est mon père qui est candidat, et qu'il n'est un secret pour personne que ma médiatisation a créé un certain nombre de jalousies chez les aigris du Front. Une suspicion, aussi : "Si elle est médiatisée, se sont-ils dit, c'est donc bien que la presse hostile y trouve un intérêt. » Ça a d'ailleurs été l'un des gros arguments contre moi lors du congrès de 2003 [où les partisans de Bruno Gollnisch l'avaient reléguée de trente places dans l'ordre d'élection au comité central, NDLR], ce qui est pour le moins paradoxal quand on les entend se plaindre du faible accès aux médias pour le FN. »
Contrairement à son père, c'est vrai, Marine ne peut pas se plaindre d'être boycottée par les médias. De « la matinale » de Canal + au plateau d'Arlette Chabot, de « Télématin » à « Riposte » de Serge Moati, on la voit beaucoup ces derniers temps, évoquant « le sentiment d'insécurité des français », « la jambe de bois du CPE », ou « le vent prérévolutionnaire qui souffle sur la France ».
Cette sollicitation médiatique, elle l'explique par la « collision entre la caricature d'un parti vu comme machiste et mon image de femme, jeune, divorcée et mère de famille ». Est-ce suffisant ? « Peut-être qu'on commence à se rendre compte que je ne suis pas contagieuse », ajoute-t-elle, affirmant qu'au fond elle ne fait qu'incarner le « syndrome Magalie ». Magalie ? « Oui, celle de la "Star Academy" », répond-elle. On y est : l'an dernier, à rebours de tous les pronostics et de tous les canons en vogue, l'adolescente enrobée, disgracieuse et qui de surcroît chantait faux avait remporté les suffrages lors de la finale de l'émission. Indice de choc : son village d'origine avait voté à 68 % non à la constitution européenne.
« Les français vomissent le système, argumente la vice-présidente du Front. vous voulez nous imposer la nana qui fait 32 kilos toute mouillée, blonde, avec les dents refaites, eh bien nous on n'en veut pas. On n'ira plus là où vous nous dites d'aller, parce que nous n'avons plus aucune confiance en vous : vous nous dites qu'il faut l'Europe, plus d'Europe, et on vous dit non de façon brutale. Vous nous dites que Le Pen est un fasciste, on l'amène au second tour de la présidentielle. Vous nous dites que Ségolène n'a pas la carrure, nous on la trouve très bien. Vous nous dites que Magalie est grosse et chante faux, eh bien, nous, on veut qu'elle gagne. »
La preuve par la Star'Ac, donc. Par la revanche de la France des pavillons contre ce que son père appelait l'« Etablissement ». Elle fume cigarette sur cigarette, Marine, et, dans ses yeux, on voit bien qu'elle y croit. On se dit que c'est la fille idéale pour aller boire une bière les soirs de cafard. Bonne copine : forte en gueule, mais sympa. Sauf quand on évoque la chanson que lui a consacrée la rappeuse Diam's (voir encadré) ou l'assimilation des chambres à gaz, par son père, à un détail de l'histoire. « Quand on a deux minutes par an de temps de parole dans les médias, on tombe dans les slogans, par définition réducteurs. Le "détail" est un problème bien particulier, lié à un contexte particulier. Moi, je dis qu'il faut arrêter de tenir des propos qui puissent nourrir la suspicion de révisionnisme au Front. »
Une simple suspicion ? « Ecoutez, j'ai 37 ans, je suis une enfant de la paix et de l'immédiateté. Ces débats sur ce qui s'est passé il y a soixante ans m'intéressent peu. » Ils intéressent pourtant certains élus du Front. Il y a moins d'un mois, le conseiller régional alsacien Patrick Binder s'est fendu d'un courrier aux lycées, expliquant que « la visite des lieux de mémoire » ne paraissait « pas justifiée », par souci d'objectivité, à un âge « où l'on est encore très influençable ». Interrogée sur le sujet, la numéro deux du Front semble embarrassée. Et vous prie de l'excuser, après avoir ajouté qu'elle n'aurait pas dit ça. Mais sans condamner pour autant.
« Respectabilisation du parti ». Prise en tenaille, donc... D'un côté les jeunes loups du Front qui la suivent dans ce travail de « respectabilisation » du parti, en partie atteint lorsque, lors des voeux des Hauts-de-Seine, ses adversaires politiques, Verts, socialistes ou UMP lui donnent du « Marine ». De l'autre, les « historiques », qui considèrent que le Front, avec Marine, ce ne serait plus le Front. Parce qu'elle ne remet pas en question la loi sur l'IVG, parce qu'elle est « vaticinatrice sur la question de l'islam », dit Bernard Antony, le chef de file des chrétiens. Ou simplement parce qu'elle n'a rien à proposer « à part un logo », assure Christian Baeckeroot, conseiller régional FN du Nord-Pas-de-Calais
« La seule chose que Marine apporte au Front, c'est une érosion électorale. En Ile-de-France, elle est même de 8 %. Quant à dire qu'elle veut déringardiser le Front, je trouve ça malvenu : dans ce cas-là, qui est le ringard en chef ? » Des accusations qui font bondir les marinolâtres issus de son association Générations Le Pen. « Ce sont des aigris », répond Louis Aliot, secrétaire général du FN, qui assure engranger les adhésions. « Ont-ils vraiment envie de diriger la France ? questionne Marie-Christine Arnautu, élue FN du conseil régional d'Ile-de-France. Quand Le Pen ne sera plus là, il n'y a que Marine qui puisse représenter ce que les gens attendent. Parce qu'elle a le nom que les Français veulent. »
Le nom. La marque Le Pen. Un argument qui fera frémir tous ceux qui parlent, comme Bernard Antony, d'une dérive « kremlinesque » au FN, qui « fonctionne de plus en plus comme une cité interdite, où l'on préfère la préférence familiale à la préférence nationale ». Jacques Bompard, le maire d'Orange, ne justifie-t-il pas son ralliement au MPF de Philippe de Villiers en accusant Le Pen de transformer son mouvement en « château de la Belle au bois dormant » ? De « faire le vide autour de lui pour que Marine, fabrication familiale et médiatique, reste seule en piste » ?
Dans son bastion du parc de Montretout, où Jean-Marie Le Pen a logé ses bureaux et deux de ses filles, dont Marine, ces analyses font ricaner le vieux chef. « Marine a beaucoup de qualités, mais elle n'affiche pas l'ambition de succéder à son père. J'ai 78 ans, certes, mais j'ai appris récemment que le président des Fidji venait, à 85 ans passés, d'en reprendre pour sept ans. Et puis, vous savez, je me demande si je ne suis pas un peu immortel. J'ai vu tellement de jeunes cadres mourir avant moi... » Quant à la métaphore de la Belle au bois dormant, elle fait sourire les petits princes du FN. Comme Olivier Martinelli, le chef du cabinet du « président » Le Pen. « Le temps de Marine arrive, car Marine est de son temps. » Le sommeil ne devrait donc plus durer très longtemps