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"N'importe qui sauf Le Pen" Le totalitarisme des sondeurs (d'après l'article de Topoline in National Hebdo n°1183 du 22 au 28 mars 2007, p.6)
Jamais on n'aura autant sondé, non point les coeurs et les âmes mais les électeurs. Les professionnels de la chose parlent eux-mêmes de "furie sondagière" et reconnaissent être dans une démarche qui s'apparente plus aux résultats quotidiens du Tour de France qu'à l'analyse politique. A ceci près : au Tour de France, la course précède l'annonce des résultats. Avec les sondages, c'est exactement l'inverse.
Malgré les déclarations de Simone Veil, disant tout le mal qu'elle pense de François Bayrou ("C'est le pire de tous. Une imposture... Son projet de cohabitation ne repose sur aucune base."), les sondeurs continuent à le mettre au centre du débat politique, allant jusqu'à réaliser des sondages de second tour sur des duels Bayrou - Sarkozy et Bayrou - Ségolène. Sans avoir évidemment l'assurance qu'il figure au second tour.
Dans le "C'est dans l'air" (émission quotidienne sur France 5, animée par Yves Calvi) du 5 mars dernier, Pierre Giacometti (IPSOS) (ci-dessous) déclarait "...Je suis beaucoup plus préoccupé par [le score] de François Bayrou dont l'électorat est le plus volatil [. . .] Ce que nous mesurons, c'est de l'intention. 60% des électeurs potentiels de Bayrou nous disent qu'ils peuvent changer d'avis. C'est beaucoup plus que pour les autres candidats". Façon de reconnaître que les chiffres reposent en grande partie sur du vent.
Yves Calvi
Dans la même émission, Roland Cayrol (Institut CSA) (ci-contre) ajoute : "Le fait d'en parler en disant qu[e Bayrou] monte est évidemment bon pour lui. Il y a une mode Bayrou parce qu'il monte. Et plus on dit cela, plus il monte... L'effet sondage crée la bulle médiatique qui, à son tour, fait grimper les sondages". Jérôme Fourquet (IFOP) ajoute même que "c'est sur la foi des sondages que Bayrou a obtenu plus de temps d'antenne que Le Pen".
Le plus honnête de tous est sans doute Jérôme Sainte-Marie (ci-contre) (de BVA Opinion) qui reconnaît : "Faire des projections de deuxième tour sur Jean-Marie Le Pen n'est pas très intéressant puisqu'on sait que de toute façon, qu'il fasse 15, 18 ou 20%, il ne l'emporterait pas. Donc on projette Bayrou". Cela a au moins le mérite d'être clair !
Avoir la possibilité de s'exprimer, sauf pour le FN
Arrive alors le moment le plus intéressant de l'émission. Yves Calvi ayant rappelé qu'une enquête d'opinion n'est qu'une activité commerciale et les partis politiques des clients, Roland Cayrol se lance dans une longue démonstration sur la vertu des sondages en démocratie. Et termine par cette phrase : "Tout système qui interdit les sondages est une dictature". Et il ajoute dans la foulée : "Jamais personne, autour de cette table, n'a fait d'enquête pour le Front National. Nous sommes un certain nombre à avoir fait savoir qu'en toute hypothèse, nous ne travaillerions pas pour le FN, cela pour des raisons d'éthique citoyenne". Et Cayrol, grand défenseur de la démocratie, de clamer fièrement : "Nous n'avons jamais fait un centime avec le Front National !" Yves Calvi, manifestement sidéré par l'arrogance du personnage, relève : "Et vous trouvez cela normal ? On parle tout de même d'un candidat qui était présent au second tour de l'élection présidentielle !" Réponse de Cayrol : "Je ne dis pas que c'est normal, je dis que je ne veux pas." Grosse gêne autour de la table, mais personne ne relève le coté scandaleux du propos.
Propos que reprendra d'ailleurs Jean-Marc Lech, le co-président d'IPSOS, (ci-contre) le 16 mars dernier dans l'émission "Les Grosses Têtes" sur RTL, à Philippe Bouvard qui, à propos des élections présidentielles, lui demande : "Accepteriez-vous la clientèle de n'importe qui ?", Lech répond : "Non, j'ai toujours refusé celle de Le Pen. Ca fait ma sixième élection, j'ai toujours eu tout le monde, y compris Arlette Laguiller". Tout le monde sauf Le Pen.
Moins Tartuffe que les autres et peut-être un peu plus courageux - ce qui ne va pas toutefois jusqu'aux actes - le directeur de BVA Opinion, Jérôme Sainte-Marie, disait à Yves Calvi : "Je vais briser ce beau consensus républicain. De toute façon, je crois que le problème éthique ne se pose même plus". Et de préciser dans le France-Soir du 17 mars : "Si nous ne le faisons pas [travailler avec le FN], c'est que ça nuirait à notre image. [. . .] cette façon de se draper dans l'éthique est une tartufferie".
Si le patron de BVA est sorti du bois, c'est parce que Le Pen vient d'annoncer son intention de porter plainte pour discrimination contre les dirigeants de l'Institut CSA et d'IPSOS. Une discrimination, selon un retournement désormais classique, scandaleusement revendiquée et même portée en bandoulière au nom de la démocratie.
Conclusion de tout ça, ne jamais, jamais, jamais avoir confiance dans les sondages !
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